1. L’avantage fiscal tiré d’une donation avant cession de titres, qui consiste pour les contribuables à donner des titres à des proches (généralement les enfants) avant leur cession à bref délai par les donataires pour leur valeur au jour de la donation, est désormais bien identifié. Pour le calcul de la plus-value de cession, le prix de revient des titres est leur valeur au jour de la donation (CGI art. 150-0 D, 1). La donation avant cession de titres permet ainsi de « purger » la plus-value latente , et d’éluder le paiement de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux.
Dans un arrêt particulièrement attendu, le Conseil d’État écarte le caractère abusif d’une opération de donation-cession de titres lorsqu’un quasi-usufruit a été stipulé dans l’acte de donation et que le donateur est dispensé par les donataires de fournir une caution de nature à garantir la créance de restitution qui en découle.
Une purge partielle de la plus-value résultant de la donation-cession de titres démembrés
2. Dans cette affaire, le contribuable avait donné à ses enfants la nue-propriété de titres avec réserve d’usufruit, suivi quelques jours plus tard de la cession concomitante des droits démembrés sur les titres à un tiers. Conformément aux clauses figurant dans l’acte de donation , le prix de cession avait fait l’objet pour partie d’un remploi en l’acquisition de titres eux-mêmes démembrés, le surplus étant versé au donateur en qualité de quasi-usufruitier.
3. Lorsqu’il est procédé, comme en l’espèce, à une donation de titres avec réserve d’usufruit suivie de la cession simultanée de l’usufruit et de la nue-propriété des titres à un tiers, deux hypothèses doivent être distinguées (BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20-60 : RM-VI-7750 s.) :
- lorsque le prix de vente est réparti entre l’usufruitier et le nu-propriétaire , l’opération est susceptible de dégager une plus-value imposable au nom de chacun des titulaires des droits démembrés. Dans ce cas, la plus-value réalisée par chacun d’eux est égale à la différence entre le prix de cession de ses droits et leur prix d’acquisition ou, en cas d’acquisition à titre gratuit, leur valeur vénale retenue pour la détermination des droits de mutation à titre gratuit. En pratique, seule la plus-value du nu-propriétaire est « purgée », le prix de revient étant égal à la valeur de la nue-propriété des titres lors de la donation ;
- en l’absence de répartition du prix de vente , il convient de distinguer selon que le prix de vente des titres est remployé en démembrement , auquel cas la plus-value est imposable au nom du nu-propriétaire, ou est attribué au seul usufruitier dans le cadre d’un quasi-usufruit , auquel cas la plus-value est imposable au nom de l’usufruitier. Dans les deux cas, le prix d’acquisition à retenir pour la détermination de la plus-value imposable est constitué par le prix ou la valeur d’acquisition initiale de la pleine propriété des titres majoré de l’accroissement de la valeur de la nue-propriété constatée entre cette acquisition et la donation. C’est cette majoration qui procure une « purge » partielle de la plus-value imposable.
4. Au cas particulier, aucune répartition du prix de vente n’avait été réalisée. Les nus-propriétaires et l’usufruitier avaient bénéficié d’une purge partielle de leur plus-value imposable résultant respectivement du remploi d’une fraction du prix et de l’attribution du solde dans le cadre du quasi-usufruit.
Exemple :
Un particulier (âgé de 56 ans en 2017) a acquis, en novembre 2015, 1 000 titres d’une société pour une valeur totale de 100 000 €. Il effectue en janvier 2017 une donation de la nue-propriété des titres au profit de ses deux enfants avec réserve d’usufruit. L’usufruit et la nue-propriété des titres sont cédés conjointement à un tiers en mars 2017 pour leur valeur au jour de la donation (160 000 €), le produit de la cession étant réemployé pour moitié dans des titres démembrés, le surplus étant reversé au donateur dans le cadre d’un quasi-usufruit. Par application de l’article 669 du CGI, la valeur de la nue-propriété des titres s’élève respectivement à 50 000 € lors de l’acquisition initiale et 80 000 € lors de la donation. Par suite, la plus-value imposable s’élève à 30 000 €, c’est-à-dire 160 000 – [100 000 + (80 000 – 50 000)]. Cette plus-value est imposable pour moitié au nom des nus-propriétaires (soit 15 000 € de plus-value), et pour le surplus au nom du quasi-usufruitier (soit également 15 000 € de plus-value).
A titre de comparaison, la plus-value imposable aurait été de 60 000 € (soit 160 000 – 100 000) dans l’hypothèse d’une cession de la pleine propriété des titres suivie de la donation du prix aux enfants.
La constitution d’un quasi-usufruit sans garantie n’est pas abusive
5. Le Conseil d’Etat écarte l’abus de droit en se fondant sur l’intention libérale du donateur , conformément à sa jurisprudence selon laquelle l’administration ne peut invoquer en matière de donation-cession de titres que la fictivité de la donation (abus de droit par simulation) et non le but exclusivement fiscal de l’opération (abus de droit par fraude à la loi) (CE 30-12-2011 n° 330940 : RM-VI-25870). Cette intention libérale résulte de la licéité des clauses de quasi-usufruit et de dispense de caution stipulées dans l’acte de donation au regard du Code civil.
6. L’article 587 du Code civil, tout d’abord, autorise la constitution d’un quasi-usufruit grevant une somme d’argent , à la seule condition d’en restituer la contre-valeur à la fin de l’usufruit (ou créance de restitution). Se trouvent ainsi écartées les craintes qui avaient pu naître d’un précédent arrêt du Conseil d’Etat quant à l’usage du quasi-usufruit dans les opérations de donation-cession de titres. Le juge de cassation avait reconnu l’existence d’un abus de droit, mais dans une hypothèse très particulière de quasi-usufruit conclu postérieurement à la cession. Ce quasi-usufruit tardif avait neutralisé les effets d’une clause de remploi prévue dans l’acte de donation, contrevenant ainsi à l’intention libérale du donateur (CE 14-10-2015 n° 374440 : FR 48/15 [6] p. 10). Dans la présente espèce, en revanche, le quasi-usufruit avait été inséré ab initio dans l’acte de donation, et la clause de remploi portant seulement sur une partie du prix avait trouvé tous ses effets dans la souscription de titres démembrés.
7. L’article 601 du même Code, ensuite, dispense le donateur qui se réserve l’usufruit du bien donné de donner caution. La question de la constitution ou non d’une garantie sur la créance de restitution due par le quasi-usufruitier aux nus-propriétaires avaient déjà opposé dans cette affaire le comité de l’abus de droit fiscal à l’administration. Le comité de l’abus de droit fiscal avait rendu un avis défavorable à l’administration. Mais celle-ci avait maintenu les redressements (CADF n° 2006-18, BOI 13 L-6-07 : BF 12/07 inf. 1307 p. 1000, étude B. Hatoux BF 3/08 p. 198). Or pour la Haute juridiction, le droit civil n’impose pas la constitution d’une sûreté en garantie de la créance de restitution, ce qui valide définitivement l’analyse du Comité de l’abus de droit fiscal.
Quelle information du nu-propriétaire par le quasi-usufruitier ?
8. On observera que l’usufruitier, bien qu’ayant été dispensé de donner caution, n’en est pas moins tenu de conserver la substance de l’objet de l’usufruit (Cass. 1ère civ. 12-11-1998 n° 96-18.041, Baylet). Il est nécessaire, à cet égard, qu’il puisse donner au nu-propriétaire tous les éléments information lui permettant de s’assurer que cette obligation est bien respectée (Civ. 1ère civ. 3-12-2002 n° 00-17.870 F-D, Baylet). Dans la présente affaire, l’acte de donation avait créé à la charge du donateur une obligation d’information régulière des donataires sur les conditions de gestion du remploi et du quasi-usufruit, ainsi que de constitution de comptes dédiés à ces opérations. Autant d’éléments, mêmes s’ils ne sont pas expressément cités par l’arrêt, qui sont de nature à renforcer le caractère non abusif de l’opération.
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